
Le Secrétaire général adjoint des Nations Unies aux opérations de paix, Jean-Pierre Lacroix a bouclé vendredi 20 septembre 2024 sa visite de 24 heures en Ituri, dans l’Est de la RDC. Et c’est par Tchomia dans le territoire de Djugu, à 60 km de Bunia, le chef-lieu de l’Ituri, que le patron du département des opérations de maintien de la paix de l’ONU a voulu échanger avec les populations locales, y compris les déplacés internes.
C‘était pour voir avec elles, comment améliorer la réponse au double défi sécuritaire et humanitaire qu’impose la situation dans cette province qui compte plus de vingt groupes armés, les uns plus violents que les autres ; avec des déplacements massifs de civils qui fuient les attaques de ces milices, apprend-t-on de Jean-Tobie Okala, chargé de communication de la MONUSCO Beni-Ituri.
Nicolas Singoma Basale membre de la société civile et secrétaire du Conseil local de la Jeunesse de la chefferie des Bahema Banywagi, a pris part à la rencontre avec M. Lacroix, et en a profité pour présenter la situation de sa région, une « situation sécuritaire très précaire », où dit-il, la confusion est totale, entre miliciens et populations :
« Nous sommes en train de traverser un moment très difficile, et pour la cause, c’est l’assimilation de la jeunesse et de la communauté aux groupes armés. Nous sommes confus, la population vit dans la psychose totale pour le moment. Il y a à peu près un mois, la population avait pris fuite vers l’Ouganda voisin, et d’autres gens vers le territoire de Mahagi et la ville de Bunia. On ne sait pas faire la différence entre la population et les miliciens, la confusion est totale ».
Beaucoup reste encore à faire
La veille déjà, après son entretien avec le Gouverneur de Province, Jean-Pierre Lacroix reconnaissait lui-même l’ampleur des défis et de la tâche qui reste à accomplir, pour le retour définitif de la paix en Ituri :
« Il y a encore des défis, beaucoup d’évènements qui confirment que la situation sécuritaire et humanitaire [en Ituri] demande encore nos efforts communs, et je crois ce qui ressort de nos discussions, c’est que nous allons continuer la coopération très étroite avec le gouverneur et les autorités provinciales, pour répondre à ces défis sécuritaire et humanitaire, comme on le fait au niveau humanitaire notamment avec la protection des personnes dans les camps des déplacés ».
Avec Bintou Keita, la Cheffe de la MONUSCO qui l’accompagne, M. Lacroix a échangé vendredi 20 septembre avec des représentants de la société civile, des associations de femmes, des déplacés, des jeunes, de la police et de l’armée.
Tchomia héberge près de 9.000 de personnes déplacées qui ont fui leurs villages à la suite des attaques des groupes armés. Des personnes vulnérables, qui vivent dans des camps ou dans des familles d’accueil, dans des conditions à peine imaginables. A cause de l’insécurité, l’accès aux champs est limité, ce qui appauvrit davantage la population, surtout les femmes.
« Les conditions de vie sont pénibles ici à Tchomia. Nous avons accueilli des déplacés venant de tous les coins de Djugu, nous n’avons pas d’accès à nos champs, nous n’avons pas accès pour faire des activités au bord du Lac, à cause de l’insécurité », explique Christine Kabazungu Lobo, la représentante des femmes de la chefferie des Bahema Banywagi.
Ces femmes ont une demande :
« Nous demandons de renforcer la sécurité dans notre chefferie des Bahema Banywagi, pour permettre l’accès aux mamans qui vont chercher la nourriture dans les marchés, dans les recoins du village et nourrir leurs familles… A Tchomia, nous vivons au taux du jour, quand il y a la sécurité, chacun peut se débrouiller. Et quand il y a l’insécurité, il n’y a pas de marché, il n’y a pas moyen d’aller au bord du Lac chercher du poisson », explique Christine Kabazungu Lobo.
Une demande qui conforte la position du patron du département des opérations de maintien de la paix de l’ONU. Pour Jean-Pierre Lacroix, sans le désarmement de miliciens, l’insécurité va persister au pays. Il en a profité pour réaffirmer la détermination des Nations Unies et de la MONUSCO à accompagner le gouvernement Congolais dans l’opérationnalisation du programme de désarmement et démobilisation des miliciens :
« Quelles que soient leurs appartenance ou leur affiliation, notre rôle, c’est de protéger la population et d’aider à tous les efforts pour ramener la paix ici ; et nous supposons en toute impartialité, ne regardons pas d’où vous venez, quelle est votre origine, votre appartenance ou affiliation… Maintenant, je crois qu’il est très important, en ce qui concerne la question des groupes armés de dire, comment est-ce que nous agissons : notre mandat, c’est de favoriser d’abord la cessation des activités des groupes armés et le désarmement… Parce que, s’il n’y a pas désarmement des groupes armés, le problème va continuer ».
Votre message a été entendu
Pour Jean-Pierre Lacroix, seuls les services habilités peuvent porter des armes, pour garantir la sécurité des populations :
« Le but, c’est que ce soit l’Etat qui soit plus présent et que la force, les armes soient uniquement dans les mains des FARDC et des policiers ; et que les services à la population puissent se développer ; et que la population, vous puissiez travailler tranquillement à vos activités, vos enfants aillent à l’école, les parents font un travail de parents et chacun vaque à ses occupations. C’est ça le but, donc, je crois qu’il faut que nous travaillions tous dans le même objectif : comprendre que les groupes armés, à la fin, c’est une plaie, c’est ça qui entretient le désordre ».
Il en appelle à tous, pour œuvrer ensemble, en vue du retour de la paix en RDC et en Ituri, « l’un des plus beaux lieux du monde, qui a tout ce qu’il faut pour se développer ».
« Alors, travaillons ensemble, malgré les difficultés et les obstacles… Je pense qu’il faut avoir tout ça à l’esprit, c’est une responsabilité de tous : de vous, de nos collègues de la MONUSCO, des autorités provinciales, des FARDC, de la police… Le but une fois de plus, c’est que tous ces gens qui détiennent des armes illégalement, qu’ils rendent leurs armes et retournent à la vie civile, et que certains soient intégrés s’ils sont capables, dans les unités en uniformes… Nos collègues vont essayer de faire le maximum pour répondre à vos attentes, on n’a pas de ressources illimitées bien sûr, mais le message est bien entendu. Comme on dit, la lutte continue », a déclaré M. Lacroix, avant de visiter un projet d’aquaculture de la MONUSCO d’un montant d’environ 100,000$, qui emploie une centaine de jeunes à risques, dont 50 femmes vulnérables.
Reprenant un vieil adage Chinois, il a rappelé combien il était important d’apprendre à quelqu’un à pêcher, plutôt que de lui donner du poisson.
La province de l’Ituri comptait 1 million 350 968 personnes déplacées internes en août 2024, selon des sources officielles. Un chiffre qui a plus que probablement évolué depuis lors, compte tenu des derniers développements de la situation sécuritaire de ces deux dernières semaines, avec des attaques des groupes armés Codeco et Zaïre contre les civils dans plusieurs localités du territoire de Djugu.
Bienvenu Katava